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13 juin 2010 7 13 /06 /juin /2010 09:20

Petit jeu littéraire au concours 2010 de Chablis dans l’Yonne. Raconter un voyage en Antarctique en utilisant une liste de 20 mots imposés (ceux mentionnés en gras).

 

 

 

 

A cette époque, je venais de passer la soirée au bal public dans ce petit port d’Afrique du sud, c’était un bal à blanc car l’apartheid était toujours en vigueur. C’est pourquoi au matin je me présentai quelque peu fatigué au môle d’embarquement. Nous étions plusieurs individus à vouloir partir pour cet Antarctique mystérieux, cette extrémité terrestre à l’horizon s’étendant invariablement sur le septentrion.

Devant moi se tenait un vieux chinois posé sur une paire de tongs qui m’expliqua son intention de créer un atelier de vannerie sur la banquise. Je trouvais son idée audacieuse. « Il faut osier le faire » lui dis-je avec un clin d’œil, mais l’asiatique fit demi-tour avec un air pincé. Pour un vannier il ne possédait pas un brin d’humour. Notre navire attendait à quai, c’était un ancien transport de layette d’une maison de confection de Shanghai reconverti en navire de croisière puis cédé à la compagnie des Indes, mais dont le propriétaire, un bougnat originaire de Saint Nectaire, en avait conservé l’usufruit comme part de fromage. Le capitaine se présenta à la passerelle et autorisa l’embarquement en sonnant dans un olifant en cuivre qui, m’a-t-on dit, avait appartenu à Aïda qui opéra en Égypte avant d’être vendu à un commerçant ambulant de Jéricho qui finit par le céder à l’armateur du navire. J’attendis mon tour pour monter sur le pont et présenter au commissaire de bord mon passeport qu’il contrôla dans les moindres détails. Je ne fus nullement inquiet ; l’autorisation d’immigration apposée par l’officier d’état civil de la Mairie de Chablis valait n’importe quel sésame. Le timbre humide rouge représentant dans un cercle deux bouteilles croisées surmontées par un verre à pied impressionna le vérificateur qui me rendit mon document officiel en exécutant une courbette dans laquelle la marque d’un infini respect était tangible. L’ancre fut levée en laissant apparaître sur l’une de ses pointes un calendrier des Postes de l’année de ma rencontre avec Léontine. Tenaces, les souvenirs de ces moments revinrent danser devant mes yeux. Mais c’était le passé, Léontine avait préféré l’ombre de son magasin de porcelaine tupperware plutôt que la blancheur des glaciers lointains. Le navire croisa les balises de la sortie du port et s’enfonça dans le brouillard des mers du sud en lançant des appels à l’accent Wagnérien par sa corne de brume. Le Rhin était pourtant loin, néanmoins nous connûmes au cours de ce voyage à travers l’invisible route maritime une ambiance de vaisseau fantôme. Une certaine appréhension fut perceptible dans l’équipage comme parmi les passagers. Un curé chargé par son évêque d’établir la première cathédrale de glace lut à haute voix une bible en version latine pour apporter un réconfort moral aux croyants. Pour m’occuper je m’amusai à relever chaque mot parisyllabique qui sortait de sa lecture. Quand ma collecte fut suffisamment abondante, j’écrivis une recette en latin de cuisine que le cuistot du bord appliqua scrupuleusement pour le plus grand bonheur de tous ; ce qui nous changea du fricandeau à l’oseille qu’il s’évertuait à nous servir à chaque repas depuis le début de la traversée. La navigation dura plusieurs jours avant que du poste de vigie un marin crie « Glace ! Glace droit devant ! ». Il voulait laisser entendre par là qu’il apercevait enfin l’Antarctique recouvert de son manteau d’hiver comme les yeux de Léontine se paraient de son fard à paupières. Ce fut le branle-bas sur le pont, le chinois empila ses articles de vannerie, le curé rangea son bréviaire et chacun se mit à contempler l’immensité blanche tachetée de noir par la présence de quelques manchots curieux qui se dandinaient pour exprimer leur étonnement de nous voir venir à eux sur un moyen de transport qu’ils jugeaient singulier. L’un d’eux s’approcha sans peur et me fit immédiatement penser à un Glyphe dans un jeu de rôle qu’habituellement je pratiquais avec Léontine. Durant un bref instant, la silhouette de l’oiseau s’anima dans un flou produit par mon imagination et le contour de Léontine remplaça avantageusement celui de l’animal. Le mirage fut si puissant qu’il me rendit possible de sentir le parfum de cannelle qu’elle répandait à certains endroits de son corps. L’illusion finit par disparaître et le débarquement se prépara dans une fébrilité digne d’une rentrée des classes. Bientôt, la passerelle fut déployée pour déposer son extrémité sur le sol gelé. A l’issue de ces jours de mer, nous fûmes heureux de pouvoir déambuler sur un sol ferme. Après quelques pas sur la croute glacée, je découvris l’immense plaisir de ne plus ressentir ni tangage ni roulis sous mes escarpins dont le revêtement en peau de grenouille du Zambèze avait reçu un traitement xérophile pour mon dernier déplacement dans le Hoggar, lorsque je fus chargé par Léontine de livrer à un chef touareg francophile les œuvres complètes de Victor Hugo. Sur le sable rare de la plage, des lions de mer prenaient le soleil en écoutant les messages en morse que lançaient des otaries en entrechoquant leurs dents. Le vieux chinois posa deux tréteaux coiffés d’une planche sur laquelle il disposa ses articles à vendre. Le curé, une scie à glace en main, commença le découpage de blocs de glace destinés à l’édification d’un monument saint. De mon côté, je concentrai mon attention et mes faits et gestes sur la mission qui m’avait été confiée par le ministère du repeuplement des végétaux, des espaces verts et du développement de la chlorophylle. Je m’appliquai pour planter un syringa microphilla accompagné d’un zinnia. Je pris soin de tasser délicatement la neige au pied de chaque arbuste et d’écarter un psoque qui avait installé son nid au croisement de deux branches. Ma mission terminée, je réembarquai à bord après avoir salué mes compagnons de voyage qui s’étaient installés définitivement sur ce sixième continent. Le voyage retour se fit avec une certaine gaité pour moi, chaque tour de l’hélice me rapprochait un peu plus de Léontine.

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commentaires

C
<br /> <br /> Un voyge en Antarctique bardé d'humour, le visa de Chablis est de bon augure  , félicitations pour ton<br /> texte, petite visite crépusculaire rafraîchissante<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Hello, à l'occasion de l'anniversaire de mon blog – 5 ans sur OB – tu es invité à venir faire la fête et à laisser un com après avoir participé aux jeux de délassement. Tu figures parmi les amis<br /> de Sifranc et ton lien figure sur mon site, voir la rubrique > Mon blog/Le forum. Amicalement, Sifranc le correcteur<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> :0070: Bravo Patrick !! Je me suis régalée avec ton texte qui témoigne encore de ta virtuosité verbale autant que de ton sens de l'humour !<br /> <br /> <br /> Seul bémol : je regrette que tu écrives souvent à l'imparfait des verbes qui sont manifestement au passé-simple (relis, je ne puis le faire en position comentaire : si, par exemple à la fin "je<br /> réembarquai" ; au début il y en a aussi ; tout ce qui est "chronologique" se met au passé simple, ce sont des actions ponctuelles).<br /> <br /> <br /> <br />
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