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5 juin 2014 4 05 /06 /juin /2014 06:05

Voici une Nouvelle qui a été primée (1° prix) au concours de Chablis dans l'Yonne.

 

Tout avait commencé ce matin. Un matin qui m’avait semblé au départ bien ordinaire, un matin de printemps où j’allai dans le jardin respirer les senteurs montant des massifs tout en observant la valse des abeilles d’étamine en étamine. Le soleil baignait généreusement chaque plante de son arrosoir à rayons invisibles. La journée ne me semblait pas différente des autres jusqu’à l’instant où mon ouïe fut mise en alerte par un chant couvrant le bourdonnement des insectes. L’air mélodieux provenait de derrière la haute haie me séparant de la maison voisine inhabitée depuis plusieurs années. Ma curiosité fut immédiatement piquée et sans faire de bruit je m’approchai de la végétation tout en prenant soin de ne pas me faire remarquer en jetant un œil entre deux branches feuillues. Ma découverte me provoqua une véritable onde de choc, je sentis mes genoux tressaillir et un léger étourdissement m’envahir. Elle était là dans une robe colorée à manches courtes laissant évoluer deux bras d’un blanc d’ivoire au bout desquels des doigts papillons composaient gracieusement un bouquet de fleurs qu’elle prélevait dans un massif. Sa tête, surmontée d’un chapeau de paille à large bord, laissait retomber une pluie d’or se terminant par des volutes dansant au moindre mouvement. Son timbre n’était que douceur qui m’enveloppa dans un nuage cotonneux. Son visage, qui se présentait de profil, laissait voir un petit nez arrondi et deux magnifiques framboises d’où sortait le chant envoutant. Mais, c’est quand elle fit ce quart de tour et que je découvris les deux océans baignant ses yeux, que je ressentis cette cruelle, mais ô combien bienfaisante, douleur. Après quelques minutes d’observation qui avaient provoqué chez moi un véritable chamboulement, je décidai de rentrer pour ne point me faire surprendre dans cette position équivoque de voyeur. J’allai dans ma chambre et, assis sur le lit, je réfléchis au moyen le plus approprié pour faire connaissance avec cette nouvelle voisine si fascinante.

Je me dis qu’il ne s’agissait pas de rater son entrée pour passer pour un lourdaud ou bien un grossier personnage. Il fallait y mettre tact et distinction. Alors comment faire ? Aller sonner chez-elle ? Mais quelle raison invoquerais-je pour venir l’importuner ? Non, ce n’est pas la bonne solution. Attendre son apparition dans la rue et sortir de la maison au même instant ? Je risque d’attendre je ne sais combien de temps. Non, non, il faut quelque chose de plus sûr. Et si j’écartais les branches de la haie et que je lui dise simplement « bonjour », ce ne serait pas mal comme approche. Oui, mais le « bonjour » comment le dire ? Un simple « bonjour » tout ce qu’il y a de plus banal peut me faire passer pour un n’importe qui, alors qu’il s’agit justement de me mettre en valeur par une originalité qu’elle remarquera. Alors le « bonjour » appuyé, avec un prolongement dans le « our » pour apporter un peu de jovialité dans la voix. Non, elle va me prendre pour un comique et me rire au nez. Ou alors le style décontracté, un simple « jour’ », c’est sympathique et cela crée de suite une sorte de complicité. Non, si elle n’apprécie pas le côté familier elle va me poser ses deux océans dans le fond des yeux et je vais instantanément m’y noyer. Ou bien je peux tenter le « salut ». C’est gai, jovial, direct, mais quand même encore un peu familier. De toute manière je n’ai pas d’autre choix qu’un texte à deux syllabes, en dire davantage tout en posant mon regard dans le sien me semble impossible, je vais bafouiller et alors là ce serait une horrible catastrophe. Je ne peux pas non plus écarter la haie et me tenir immobile en attendant qu’elle finisse par me découvrir, c’est un coup à passer pour l’idiot du village !

Non, il me faut un simple mot de deux syllabes pour briser la glace et ensuite je prendrai de l’assurance, cela ira mieux. Mais quel mot ? « Hello » ? Non, trop prétentieux. Et si je disais tout simplement : « coucou » ? C’est bien « coucou ». Deux syllabes identiques, pas difficiles à prononcer et se prêtant parfaitement à ma manière d’apparaître en écartant la haie. De plus cela fait champêtre par le nom d’oiseau tout en se prêtant au simulacre de jeu. J’optai pour cette tactique qui me sembla raisonnable et tout à fait appropriée. Je bondis hors de ma chambre pour me rendre dans la salle de bain où j’empoignai le peigne que je passai sous le robinet d’eau froide. Je pris soin de me dessiner une raie impeccable et de rabattre sur le dessus du crâne cette mèche qui s’évertuait continuellement à me retomber sur l’œil droit en me donnant un air de rêveur. Après avoir examiné bien scrupuleusement le résultat dans le miroir et en être satisfait, je partis en direction du jardin.

A pas de loup je m’approchai de la haie pour vérifier si ma voisine était toujours présente au milieu de ses fleurs. Elle était là, bien que silencieuse et occupée à mettre en forme son bouquet sur une vieille table de jardin. L’absence de chant me privait de sa mélodieuse voix mais facilitait mon entreprise en m’évitant de devoir lancer mon mot de contact à pleine gorge, ce qui aurait certainement produit le plus mauvais effet. J’avançai de quelques pas pour me fondre dans le feuillage et j’empoignai doucement à pleines mains les ramures disposées devant moi. Je pris le temps de respirer à pleins poumons, bouche ouverte pour ramener mes battements de cœur à la normale. Puis, d’un coup, je fis se courber les branches pour bien apparaître tout en lançant un courageux « coucou » d’une voix maîtrisée. À l’annonce, la belle fit volte-face et me découvrit. Elle façonna un magnifique sourire sur sa figure angélique et je sentis son regard d’un bleu étourdissant se poser sur mon humble personne. J’entendis également une voix forte derrière-moi qui effondra mon édifice, qui fit porter à ma voisine sa main devant la bouche pour tenter de cacher le rire moqueur cristallin qui en sortait et fit disparaître son regard océan quand ses yeux se plissèrent sous l’effet du fou-rire. Je fus irrémédiablement perdu et plus rien ne pourra reconstituer ce que quelques mots venaient de détruire. La phrase qui fut prononcée derrière-moi ne cessait de résonner dans ma tête : « Mon petit bichon, va te laver les mains, nous passons à table ».

« Mon petit bichon ! » Ce surnom enfantin venait de me crucifier devant la voisine en laquelle j’avais fondé tant d’espoir. J’ai neuf ans et demi et ma mère a fichu ma vie en l’air !

 

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commentaires

C
<br /> sourire..  tant de préparatifs, tant de tergiversations.. d'un supposé adulte, la chute nous révèle en grande douleur qu'il<br /> s'agit d'un enfant   bravo ! texte génial ! <br />
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V
<br /> En effet, elle est excellente !<br />
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S
<br /> Félicitations, un texte qui ne lasse pas et qu'on lit jusqu'au bout. On attend la chute. Et celle qui arrive n'est pas celle qu'on attendait. Alors, chapeau! Sifranc<br />
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