Voici un texte de circonstances, vu la période que nous allons traverser.
J'avais dans mon nourrain tout rose en porcelaine
Pas plus de trois deniers, en tout, pour bas de laine.
Ils n'accouchaient jamais de la moitié d'un liard,
D'un minuscule sou, du moindre petit chiard.
J'en pleurai le matin au bord de ma fenêtre
Quand un banquier replet, reflétant le bien-être,
S'enquit de mes sanglots et rit de mon malheur
En promettant sitôt de faire mon bonheur.
« Il vous faut de ce pas, porter vos trois roupies
Au fond d'un coffre-fort où j'en ferai copies
En plaçant en actions, devant mon tabellion,
Vos trois écus qui vont rapporter un million ! »
Ému par son discours fleurant bon la promesse
Je courus déposer mon cuivre en forteresse ;
Un bâtiment cossu gardé par des archers
Avec marbre couvrant les murs et les planchers.
Sur mes trois picaillons jetés dans l'aventure,
Deux furent avalés dans les frais d'écriture.
« C'est la règle », me dit le racleur de deniers,
« Pour les petits porteurs rêvant d'être rentiers. »
Je revins au logis pensant à ma pistole
Devant d'arrache-pied m'assurer le pactole
En passant dans les mains de ce nouveau Jésus,
Grand monnayeur sachant en tirer tout le jus.
J'attendis patiemment en rêvant de fortune.
Gibus en couvre-chef je décrochais la lune,
Tenais canne d'argent et jouais le milord
En me tannant le cul sur ma réserve d'or.
Mais, par un beau matin je vis passer en trombe
Tous les boursicoteurs qui, marchant bien à l'ombre,
S'en vinrent échanger auprès de l'agioteur
Contre argent bien sonnant des titres sans valeur.
Moi, croyant que c'était l'instant de la recette,
Je partis aussitôt en poussant ma brouette
Tout en me demandant si pareil contenant
Suffirait pour tenir mon magot bedonnant.
Pénétrant essoufflé dans le grand édifice
Je demandai, joyeux, ma part au bénéfice.
« De quoi me parlez-vous ? », questionna le chacal
« Votre argent a fondu, revenus, capital !»
« Il était bien placé sur castel en Espagne,
Mais tout s'est envolé du pays de Cocagne.
Vous me devez cent sous, à régler prestement,
Dont vous serez absous au dernier versement. »
Pour couronner le tout je reçus une lettre
Du brave percepteur m'indiquant de remettre
Dix sequins reluisants pour aider les banquiers
Qui n'ont plus que du bois en guise de chéquiers.
Ainsi, le choix est fait, c'est bien au contribuable
De payer le passif et les dessous-de-table.
Alors que les profits, excédents et faveurs
Ne sont que du ressort des chers spéculateurs.