Le haut-parleur de la gare annonça l’arrivée, dans dix minutes, du train Paris, Bordeaux. Odette tenait son billet en main et restait à quelques pas du composteur. Elle se demanda si elle n’avait pas fait une bêtise en venant jusqu’ici prendre un billet pour Poitiers. Pour l’instant rien n’est encore définitif se dit-elle, je ne l’ai pas encore poinçonné. Elle marcha un peu de long en large, partagée par l’envie de prendre ce train et la peur de se retrouver face à un inconnu. De toute manière si je ne pars pas il ne m’en tiendra pas rigueur, c’est bien ce qu’il m’a dit pensa-t-elle pour se rassurer. Mais il risque de croire que je me moque de lui si jamais il ne me voit pas.
Le haut-parleur annonça l’entrée en gare du train et Odette pouvait voir au bout des rails se profiler la silhouette du long serpent de métal. Le bruit des freins du train lui crispa le cœur. Voilà, les voitures étaient alignées devant-elle, elle pouvait choisir laquelle prendre. Le composteur était à sa droite, quelques gestes et elle pouvait s’embarquer. Alors qu ‘elle tendait son billet en direction de la gueule de l’appareil, elle se ravisa au dernier moment et fit demi-tour. Elle n’alla pas bien loin en direction de la sortie. Maryse, accompagnée par un homme à la figure joviale, lui barrait le passage. Après avoir dit quelques mots à son accompagnateur, Maryse s’approcha d’elle pour lui demander :
- Où comptes-tu aller comme ça ?
- Je rentre chez moi, j’irai une prochaine fois, tenta de se justifier Odette.
- Oh que non ! Tu vas prendre ce train et aller voir à quoi il ressemble ! dit Maryse d’un ton impératif.
- Non je t’assure je n’y arriverai pas, j’ai les jambes coupées et je risque trop en allant là-bas !
- Ecoute, nous sommes samedi, il fait jour et beau, il y a du monde partout, tu ne risques rien en allant là-bas. Il te plaira ou il ne te plaira pas, mais tu jugeras sur place ! De toute manière je sais que tu as ton portable sur toi et pour te rassurer je brancherai le mien. Tu pourras m’appeler quand tu veux. D’un coup de voiture on peut venir te chercher avec Georges (elle désigna du doigt l’homme qui l’accompagnait). Ce soir on viendra te chercher à la gare, tu me diras à quelle heure tu rentres. Maintenant embarque et donne ton billet je vais te le composter !
Suivies de Georges les deux femmes coururent en direction de la dernière voiture et pendant qu’Odette gravissait les marches d’accès au train, Maryse composta le billet et le lui tendit ensuite par la fenêtre du couloir. Le sifflet du chef de gare résonna sur le quai et le train s’ébranla doucement.
- Je te téléphone c’est promis, cria Odette.
- Passe une bonne journée, lui répondit Maryse que Georges venait de prendre par le cou tout en agitant son autre main pour saluer Odette.
Le train disparut au bout des rails, comme il était venu.
- Elle a l’air sympathique ta copine, dit Georges en serrant Maryse contre lui.
- Oui c’est vraiment une fille gentille. Un peu vieux jeu mais gentille tu ne peux pas savoir, assura Maryse.
- Alors je lui souhaite de tomber sur un brave type. Comme tu as fait toi, annonça doctement Georges.
- Dis donc toi au lieu d’essayer de te faire gonfler les chevilles parle-moi plutôt de ta promesse de visite de ta salle d’embaumement, répliqua Maryse en lui lançant un clin d’œil.
Le chandelier trônait au milieu de la table. La lueur des bougies donnait un petit air de fête et Maryse terminait de dresser les trois couverts pendant que Georges dans la cuisine recherchait désespérément un tire-bouchon. La sonnerie du téléphone fit sortir Maryse de sa rêverie. Elle prit le combiné, enfonça la touche de réception et commença un monologue que Georges avait du mal à suivre.
- Allô ! Oui c’est toi. Alors ?
Et elle ne cessa de faire des hum, hum qui intriguèrent Georges.
- Bon d’accord. Je ne te retarde pas plus longtemps. Je t’embrasse.
Elle raccrocha l’appareil, s’approcha de la table et débarrassa un couvert. Puis voyant Georges qui attendait dans l’encadrement de la porte de la salle à manger, elle lui lança d’une voix enjouée :
- Nous allons dîner en amoureux, Odette ne rentre que demain.
FINNouvelle tirée du recueil " Encore des histoires " en vente sur mon blog.