Dans la nuit de l'hiver, le clochard qui s'avance
Traîne ses godillots en trottant pas-à-pas
Sur les grands boulevards éclairant son errance
Jusqu'au bord de la Seine où l'attend son trépas.
Il tremblote de froid autant que de vinasse
Sous les trois oripeaux servant de paravent
A ce corps fatigué, misérable carcasse,
Dont les bras ne sont plus que des moulins à vent.
En quittant la lumière il redevient une ombre,
Un éclat de noirceur sur les pavés luisants
Qui flotte sur la vie en attendant qu'il sombre
Entraîné par le faix des souvenirs gênants.
Il voudrait extirper de sa pauvre mémoire
Le poids de ses erreurs sur l'asphalte gelé
Comme un autodafé du vélin d'un grimoire
Contenant un démon l'ayant ensorcelé.
Il touille le magma composant l'inventaire
D'un destin détrempé par des flots de pinard,
Balisé de propos au ton velléitaire
Contre tous les Jean-foutre au regard goguenard.
Surgit un vieil amour fripé de lassitude
Qui partit rechercher des gestes délicats.
Passe la liberté, pleine de solitude,
Et dépendant souvent d'indolents avocats.
Une geôle coinçant le temps dans ses mordaches,
Le travail oublié sur le zinc d'un bistrot,
Des jurons aux bourgeois et quelques « mort aux vaches !»
Et passent les remords de n'être qu'un poivrot.
Comme il se sent léger en abordant la rive,
Pour la première fois c'est un homme nouveau
Capable de juger sa vie à la dérive.
Il avance d'un pas et disparaît dans l'eau.